Le hasard, parfois, fait bien les choses et Abdon en est un exemple frappant.
En apprentissage, alors que ses parents pensent faire de lui un habile ferronnier, l’un de ses camarades d’atelier fait choir accidentellement dans sa chaussure un morceau de métal incandescent, ce qui lui occasionnera une profonde brûlure nécessitant des soins et quelques jours d’inactivité. Sa mère, alors employée de maison à la grande bijouterie Ruf, s’inquiète un peu de voir son fils en état d’oisiveté. Le responsable du magasin, ayant entendu son raisonnement, lui propose alors de le faire venir à l’atelier : « Il ne sera pas seul et il nous verra travailler » dit-il simplement à la maman. Il ne croyait pas si bien dire car l’adolescent de 16 ans va se prendre de passion pour l’horlogerie et la bijouterie. Les mécanismes des pendules à contrepoids l’intriguent et travailler l’or, le voir se transformer en beaux bijoux est fascinant pour lui. Sans regrets, il délaisse la ferronnerie et entre en apprentissage du métier d’horloger-bijoutier. A l’époque, l’apprentissage ne se fait que « sur le tas » comme on dit et il est de coutume, pour parfaire ses connaissances, de changer de maître-ouvrier assez souvent. Abdon, en 1912, aura connu les meilleurs ouvriers de Perpignan et il recevra la médaille des Amis de la Sertissure qui récompense la fin de l’apprentissage. Mieux ! On dit de lui qu’il est l’un des meilleurs jeunes ouvriers bijoutiers de Perpignan. Il a 21 ans. Ayant intégré l’atelier Ruf, il est mobilisé pour le service militaire mais la grande guerre 14/18 va le happer et le voici dans le 81ième Régiment d’Infanterie.
En 1915, il est blessé au combat par des éclats d’obus à l’abdomen, aux pieds mais surtout aux mains. Laissé pour mort sur le lieu des combats, il ne sera récupéré par les brancardiers français que lors d’une phase de repli. Amené à l’hôpital de campagne et devant la gravité de ses blessures, le médecin chirurgien veut l’amputer de ses deux mains. Abdon s’y refuse obstinément, il pense à son métier et demande plutôt à manger. Le menu sera celui de la compagnie : des haricots, «mongetes seques» en catalan. S’il évite l’amputation de ses deux membres, il perdra cependant le pouce et l’index de la main droite ainsi que le majeur et l’annulaire de la main gauche. Deux prothèses en bois lui seront proposées pour masquer maladroitement la disparition de quatre de ses doigts. Le voici renvoyé dans ses foyers comme mutilé de guerre nanti de la Croix de Guerre ave citations et de la Médaille Militaire.
Mais va-t-il pouvoir reprendre son métier ?
A la fin de sa convalescence, il constate que son poste chez Ruf a été remplacé mais Charpentier, autre bijoutier orfèvre de Perpignan, lui propose un emploi de contremaître en charge de la formation des apprentis et de la supervision de l’atelier. Obstiné, il force le destin…
Son problème majeur reste celui de la rééducation de ses doigts restant qui doivent effectuer le travail de précision requis en horlogerie ou orfèvrerie et qui ne peut se passer de minutie. Avec l’obstination d’un forcené, en se fabricant lui-même des outils adaptés à ses handicaps, Abdon va retrouver peu à peu sa dextérité et son adresse. Il décide alors d’ouvrir son propre atelier « en chambre », sans magasin, au N°1 de la rue des Augustins, 1er étage.
Désormais artisan, il travaille comme sous-traitant pour de nombreux bijoutiers de Perpignan et de la région avec une attirance particulière pour le Grenat de Perpignan et autres Citrines, Topazes d’Auvergne et Saint-Esprit, bijou traditionnel auvergnat.
En parallèle, Abdon Laviose crée et dirige un syndicat d’ouvriers bijoutiers à Perpignan. Fin 1920, il ouvre son premier magasin au 4 rue Maréchal Foch (à l’époque rue Grande Saint-Martin) où se trouve le magasin actuel.
Le 23 juin 1926, il épouse Léonie Corbière, originaire du Tarn et le couple donnera naissance à deux enfants, Henriette en 1927 et Jean-Pierre en 1928.
Lors de l’Exposition internationale de Montpellier, en 1927, Abdon Laviose remporte le Grand Prix de la section Artisanat avec une œuvre de bijouterie.
A Perpignan, on le voit s’investir fortement dans le milieu associatif et sportif : rugby, basket, athlétisme.
Dès 1942, à 14 ans, Jean-Pierre commence son apprentissage dans l’atelier familial puis chez Girones, ensuite chez Majoral – horlogerie et montres – et enfin chez Verdier, pour la bijouterie. Il rejoint ensuite l’atelier de son père. Mais, peu à peu, la santé d’Abdon s’altère. Son handicap ne lui permet plus de travailler « à la cheville » (c’est la façon artisanale entièrement manuelle) et, de plus, il ressent les premières atteintes de la maladie de Parkinson. Jean-Pierre prend le relais, comme prévu.
Le 9 janvier 1954, Jean-Pierre prend pour épouse Marie-Rose Darné et, en 1957 naît André. La bijouterie porte désormais le nom « Au Grenat Laviose », l’une des spécialités de la maison.
Après le décès d’Abdon en 1960, un nouveau magasin sera inauguré en 1968 – l’actuel local – pendant que Jean-Pierre travaille à la fondation de l’Association Prestige Perpignan pour la promotion de l’Artisanat d’Art et de Création dans le département.
A 19 ans, en 1976, André, le fils de Jean-Pierre, entre à son tour dans l’affaire, formé par son père porteur des « secrets d’atelier » transmis de père en fils. Jean-Pierre, après 51 années de présence, prendra sa retraite en 1993.
La collection de bijoux va évoluer avec la création « Les Voiles Catalanes » or martelé et grenat, en hommage aux Barques Catalanes
Entre-temps, est né en 1981 un nouveau Laviose, Guillaume, fils d’André qui entrera à son tour dans le giron familial en 2000. Il s’imprégnera auprès de son père des techniques d’art traditionnelles mais aussi évolutives.
2004 et 2008 verront l’épanouissement des créations « Les Vigatanes » et des thèmes animaliers tels que « El Cargol », « El Burro » ou encore « La Tortue des Albères ».
C’est en 2010 qu’est réalisé « Le Castillet d’Or », une bague architecturale en hommage à la Ville de Perpignan.
La collection « Nostre Pais » ayant pour motifs la Sardane, le Canigou et le département a vu le jour en 2014.
Respect et savoir-faire restent la motivation première des Laviose, tout au long des générations.